Notre ami et excellent confrère Antonio Arévalo vient de publier un livre sur Robert Margé dans la collection La Verdad aux éditions Gascogne. Un livre qui fait déjà sensation en raison de la personnalité exceptionnelle de Robert Margé dans l’Histoire de la tauromachie française qui a réussi brillamment dans le triptyque de base du monde taurin comme empresario avec le succès de Béziers , comme ganadero avec une ancienneté gagnée avec succès à Madrid (le Graal de tout ganadero) et comme apoderado puisqu’il a été à l’origine de la carrière du plus remarquable torero français de toute l’Histoire : Sébastien Castella (qui lui rend hommage dans l’ouvrage).

C’est cette facette que nous avons retenu ici. Il répond d’abord à la question d’Arévalo :

-Pourquoi amènes-tu Sébastien à Séville ?

-Parce que j’avais découvert chez lui une aficion et une volonté incroyables. Un jour je lui avais posé la question : « pourquoi veux-tu être torero ? » Je ne peux pas donner la réponse, ça ne regarde que lui et moi. Il y avait chez lui une telle détermination, une telle force que je me suis dit que le seul moyen d’en faire quelqu’un d’important dans la tauromachie c’était qu’il se retrouve tous les jours avec un professionnel. Moi j’avais cinquante mille choses à faire, avec les banques derrière-moi, j’avais une vie infernale, je dormais quatre heures par nuit. Je savais que c’était la solution pour Sébastien. J’avais un train de vie qui me permettait d’avoir un très grand appartement calle Arjona à Séville, avec cinq chambres, cinq salles de bain, une terrasse de 150 mètres carrés où les toreros s’entraînaient mais ça ne m’allait pas de laisser là Sébastien. Ce que m’a proposé José Antonio m’a d’abord soulagé et ensuite on a concrétisé un accord professionnel merveilleux puisque José Antonio et moi on a fait une équipe d’enfer. Il faut savoir que lui, avec beaucoup d’élégance, m’a renvoyé la balle quand il a commencé à apodérer Andrés Roca Rey. Il m’a dit : « tu ne veux pas qu’on refasse comme avec Sébastien, qu’on l’apodère tous les deux ? » Je lui ai répondu que non, que ce n’était plus ma voie et je lui ai aussi dit : « par contre, attache-le bien, parce que celui-là va être figura del toreo ».

J’ai donc trouvé des tentaderos pour Roca Rey en France et j’ai essayé de le mettre partout dans les novilladas non piquées puis piquées. J’aidais mon ami José Antonio Campuzano qui a sorti cette autre figura.

Quand mon amie Marie Sara m’a demandé de lui conseiller quelqu’un pour Lalo, je lui ai répondu : « il y en a un en qui j’ai confiance et qui est digne de confiance, comme il l’a prouvé : José Antonio Campuzano ». L’histoire entre José Antonio et moi est belle et elle continue.

-On ne va refaire toute l’histoire, tout ton parcours avec Sébastien, mais qu’est-ce qui t’a le plus plu chez lui en tant que torero et en tant qu’homme ?

-Sébastien fait partie de ces toreros, ils ne sont pas beaucoup, très peu même, capables de mourir quelques après-midi dans l’année. De tout miser sur un jour, au risque de prendre un coup de corne, sans s’en soucier. C’est pour ça qu’il est figura del toreo. Sébastien c’est comme le grand toro brave : il va jusqu’au bout de lui-même en permanence et repousse les limites. Encore là, l’autre jour, j’ai pleuré comme un gosse quand il a mis cette grande épée à Madrid et qu’il est sorti par la Grande Porte. Parce que je savais moi, intimement, ce qu’il ressentait depuis quatre ou cinq mois qu’il avait repris l’épée. Les Grands ne meurent jamais et lui est Grand. Je pensais qu’après plus de deux ans sans toréer il lui faudrait quinze ou vingt corridas pour retrouver le sitio. Ça ne se fait pas en un jour, on sait ce que c’est. Il l’a fait de la plus belle des manières, il a dit au monde entier : « Castella est de retour ». Je ne te cache pas que ce jour-là j’étais ému et que je l’ai bien fêté.

-Comme homme, c’est quelqu’un de très particulier.

-Au départ il était très introverti et je le comprenais. Même si moi, à son âge, j’avais les mêmes manques mais moi j’étais plutôt extroverti et lui le contraire. Sébastien est quelqu’un avec beaucoup de fond, qui n’oublie pas les gens qui ont été importants pour lui. Il a beaucoup de « cariño » pour les gens qu’il aime et il les aime vraiment. C’est quelqu’un d’entier, une très grande personne, en plus d’être quelqu’un de très intelligent.

-Le fait d’avoir été son apoderado, qu’est-ce que cela t’a apporté ?

-Beaucoup. Aussi en tant que ganadero, parce que l’accompagner tout le temps dans de grands cartels, de voir sortir les plus grands élevages, de voir comment les toros humilient, placent leurs têtes, toutes leurs réactions, ça a changé ma manière de sélectionner mes toros. Ça m’a aussi fait croître dans mon professionnalisme, être à côté de lui pendant sept ou huit ans m’a apporté plein de choses.

-Cela a été difficile de l’imposer en France ?

-Ça a été un combat, ça me rendait fou. Autant pour moi je suis capable d’endurer plein de choses, autant j’ai horreur de l’injustice. Chaque fois il fallait que j’explique :  « mais vous n’avez pas vu qu’il va être figura del toreo ? Vous ne l’avez pas compris ça ? » Bien sûr c’était lui qui donnait la meilleure des réponses en coupant les oreilles et en sortant en triomphe, donc c’était quand même plus facile pour l’apoderado. Ça a été un « tio », ce qu’il a fait est énorme et unique en même temps. Très peu de toreros sont arrivés à ce niveau-là. Sur les trente dernières années il y en a quatre ou cinq, pas plus. 

-Parmi tes souvenirs en tant qu’apoderado de Sébastien Castella, quels sont tes grands moments ?

-Il y en a tellement que ça va être difficile de répondre. Déjà novillero, de novillero il était extraordinaire, il triomphait de partout, quand il tuait, parce qu’à cette époque-là il perdait des sacs d’oreilles à cause de l’épée, c’était par périodes. Après il y a eu les Rencontres Mondiales de Novilleros que ton père avait lancé avec les Chopera et des Mexicains, avec une finale à Saint-Sébastien et l’autre à Mexico. Lui a gagné les deux, sur les deux continents, donc il annonçait déjà la couleur. Je me rappelle de Mexico où il tue le toro a recibir qui ne tombe pas de suite, le président m’a dit plus tard qu’il lui aurait immédiatement donné la queue tellement il avait bien toréé. Il a pris l’alternative avec Enrique Ponce et José Tomás et après je n’ai eu de cesse de le mettre dans de grands cartels. J’ai fait attention à lui au campo, je me suis efforcé d’être professionnel jusqu’au bout des ongles pour qu’il ait le plus de facilités possibles et lui enlever de la tête tous les soucis du quotidien. C’est le rôle de l’apoderado et je crois qu’avec José Antonio on a fait un sans-faute là-dessus, même si ce n’est pas à nous de le dire. Ça a été une aventure humaine extraordinaire, José Antonio est toujours mon ami proche et Sébastien fait partie de ma famille.

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