Philippe Caubère, comédien, auteur de théâtre et metteur en scène né le 21 septembre 1950 à Marseille reste notamment l’immortel interprète du Molière du film d’Ariane Mouchkine. Défenseur inlassable de tauromachie, en octobre 2019, il signe avec 40 personnalités dont Denis Podalydès, Pierre Arditi, l’ex-ministre de la Culture Françoise Nyssen et le journaliste Patrick de Carolis, un appel contre l’interdiction de la corrida aux mineurs que la députée Samantha Cazebonne veut introduire dans une proposition de loi. La collection “La Verdad” (éditions Gascogne) lui a consacré un livre d’entretien sous la plume du grand journaliste Michel Cardoze, lui aussi aficionado. Le passage que nous avons choisi concerne “Recouvre-le de lumière », un spectacle créé par Philippe Caubère en hommage à Christian Montcouquiol, Nimeno II aux Arènes de Nîmes le 5 juin 2003, créé d’après le livre de Alain Montcouquiol Nimeno I « Recouvre le de lumière » Verdier, éditeur.

C’est Christian Montcouquiol, “Nimeno II”, qui a fait basculer mon regard et mes sens. Trois ou quatre ans après cette première expérience, alors que j’étais au Théâtre du Soleil, je suis revenu aux arènes avec Clémence, mon amoureuse d’alors, devenue ensuite la femme d’une grande partie de ma vie et dont je suis toujours très proche.

Nous étions en vacances à La Fare-les-Oliviers, non pas ici qui est la maison de mes grand-parents, mais en bas de la propriété, chez mes parents, et nous parcourions la Provence en Mobylette. Ma cousine Martine, passionnée de taureaux -devenue ensuite Carmélite à Tarbes !- qui habitait à Nîmes, nous avait invités et hébergés.

La première corrida que nous sommes allés voir, le soir même, était une novillada. En nocturne évidemment. Et là, sous la lumière artificielle des projecteurs, nous avons vu apparaître un personnage incroyable, au profil des tableaux du Greco, couleur bronze, mince, tremblant, mais d’un courage insensé et qui affrontait un taureau énorme. Il n’avait pas  20 ans, c’était un personnage de roman, ou plutôt de théâtre. Il nous a tout de suite fait penser à Mercutio, l’un des personnages de Roméo et Juliette.

Pourquoi Mercutio ?

Mercutio, c’est l’Arlequin qui affronte la mort. Au contraire de celui qu’on connaît bien, l’Italien, qui affronte la vie.  Lui flirte avec la mort. Il évoque dans son grand récit la reine Mab qui en est la messagère. Nous étions alors obsédés par Roméo et Juliette. Nous étions plongés dans Shakespeare et dans Molière autant que dans nos improvisations.

C‘était tout ce travail de L’Âge d’Or autour des masques, dans lequel nous baignions. De plus, nous étions, Clémence et moi, en pleine histoire d’amour et je rêvais, j’ai toujours rêvé et je rêve toujours, de monter Roméo et Juliette. Mercutio, le meilleur ami de Roméo, qui en est presque amoureux, c’est cet Arlequin de la mort, sarcastique, qui nargue, qui rigole pour masquer sa peur. Il va finir par se faire embrocher et tuer par Tybalt à la place de Roméo, en lui faisant un bouclier de son corps…

Mais Mercutio va vers la mort en dansant. C’est pourquoi on pensait à lui en voyant Christian qui avait ce côté ludique, sautillant. Le contraire d’Ojeda, par exemple, de ces toreros massifs et immobiles. Christian était toujours en mouvement, sautant, dansant comme un elfe. Je dis « Christian », alors que je ne l’ai jamais rencontré de son vivant. Mais je l’ai tellement fréquenté par le livre et le spectacle et par Alain[4] qui m’en a tant parlé qu’il est devenu pour moi comme un petit frère imaginaire… On sentait vraiment chez lui ce défi enfantin à la mort. C’est pour ça que son destin tragique nous a tant bouleversés. Chez tous les toreros, on peut sentir la proximité ou le risque de la mort, mais à ce point là et sous cette forme là, pas souvent. Il en y a chez qui on sent la puissance, la virilité, d’autres au contraire, la fragilité ou la féminité. Lui, il avait ce côté féminin, mais on sentait la mort. Comme on dit couramment  : il se jouait la vie. Sauf que lui se la jouait vraiment.”


(Entretiens réalisés par Michel Cardoze les 25 et 26 septembre 2013, relus et complétés par Philippe Caubère en mars et avril 2014)