AndrĂ©s Roca Rey hĂ©ros du film d’Albert Serra « Tardes de soledad ».
Le dicton taurin le dit : « tarde de expectacion, tarde de decepcion »* ; trĂšs attendue ma soirĂ©e consacrĂ©e au film dâAlbert Serra qui a suscitĂ© controverses critiques ou louangeuses, m’a plongĂ© dans une certaine indiffĂ©rence, un ennui marquĂ© par des situations rĂ©pĂ©titives avec une forte impression de « dĂ©jĂ vu », une banalitĂ© contraire au sujet, la tauromachie, qui est tout sauf une activitĂ© sans surprise.
Ce nâest pas le grand film lyrique que lâon attend (toujours) sur la corrida, ce nâest pas non plus une critique abjecte ou polĂ©mique, ce nâest quâune description plate dâune rĂ©alitĂ© vue dâen bas plutĂŽt que dâen haut, un point de vue qui certes fait de lâeffet (visuel) mais nâĂ©claire rien. On nây voit que ce que lâon sait dĂ©jĂ et les Ă©motions, les coups de cornes notamment, ne touchent que peu puisquâon en connaĂźt lâissue.
A quoi servent ses scĂšnes rĂ©pĂ©tĂ©es dâarrastre ? Ces puntillazos successifs ? Ces passes accumulĂ©es dĂ©gagĂ©es du contexte dâune faena et par consĂ©quent sans significations vĂ©ritables ? La vie dâun torero se limite-t-elle Ă la camionnette qui le conduit et Ă la chambre dâhĂŽtel oĂč il ne dort pas ? On aurait aimĂ© justement voir celle oĂč il dort⊠(et avec qui).
On nâest ici loin de Cocteau, Hemingway ou PeyrĂ© ou pour prendre des exemples de films qui nous ont transportĂ©, loin « Des clameurs se sont tues » de Dalton Trumbo, de « La course de taureaux » de Braumberger, de « Moments de vĂ©ritĂ© » de Rosi ou « Des golfos » de Saura, etc.
Le film a nĂ©anmoins un mĂ©rite: il nâest pas de partie pris ; il est honnĂȘte ce qui nâest pas rien tout de mĂȘme. Dâabord il a mis au centre du propos le toro bravo et les deux premiers plans au campo dans la nuit avant mĂȘme le gĂ©nĂ©rique sont rĂ©ussis. Il nâĂ©lude pas la violence de l’animal dans le combat, ses intentions criminelles ne sont pas masquĂ©es, ni sa mort souvent choquante pour les « enfants du siĂšcle » qui ne reconnaĂźtront jamais son aspect glorieux : cette lutte ultime pour la vie, ce dernier regard la lumiĂšre.
Ensuite le rĂ©alisateur nâa pas Ă©ludĂ© le cĂŽtĂ© picaresque du milieu taurin. Les rĂ©pliques de Chacon ou Viruta, les peones de Roca sont tordantes pour celui qui sait les contextualiser. Il y a cet amour du piropo trĂšs sĂ©villan, le goĂ»t du bon mot et une façon de convoquer la vulgaritĂ© qui nâest pas triviale mais rappelle les racines populaires de ces O.S. de la tauromachie. A lire les critiques de la presse française, je ne suis pas sĂ»r que le « grand public » saisisse cet amour du second degrĂ©, la frivolitĂ© feinte et lâironie savoureuse de ces grands professionnels issus de barrios populaires oĂč on parle ainsiâŠ
Enfin le film met Ă a sa place AndrĂ©s Roca Rey, câest-Ă -dire Ă celle de numĂ©ro un, de torero dâĂ©poque. La seule comparaison possible Ă©tant JosĂ© Tomas Ă©voquĂ© incidemment (?). Le comportement hĂ©roĂŻque du PĂ©ruvien sâimpose de maniĂšre indubitable tout au long des scĂšnes: son arrimon, son entrega, el valor seco qui en fait un torero hors norme qui marque lâhistoire. Un phĂ©nomĂšne ! La contrepartie, celle qui lui est demandĂ©e, est terrible : outre les blessures physiques et cette angoisse de ne pas les voir « se cicatriser », il y a le poids de la responsabilitĂ©, cette lourde solitude pour un jeune homme de 25 ans. Etre numĂ©ro uno, assumer ce rĂŽle, remplir les arĂšnes et ĂȘtre celui Ă qui on demande toujours plus câest subir une pression quasi inhumaine. Les plus grands y sont passĂ©s on citera Juli et surtout Ojeda ou Tomas, ces derniers nâayant que peu durĂ© Ă ces avant-postes
Cette souffrance du NumĂ©ro Uno on la lit sur le visage lisse -enfantin encore- mais souvent ensanglantĂ© dâAndrĂ©s. Et on sent que la seule chose qui le prĂ©occupe, celle qui le touche, ce sont les cris de haine, ces insultes du tendido 7 madrilĂšne ou le scepticisme de la Maestranza. Je ne sais si câĂ©tait lĂ le propos initial de Serrat mais il touche enfin une vĂ©ritĂ© profonde : lâinjustice blesse toujours plus que le coup de corne.
Pierre Vidal
* « AprĂšs-midi dâespĂ©rance, aprĂšs-midi de dĂ©ception »