Visite chez Juan Luis Fraile, figure emblématique du campo charro, qui a longuement captivé notre journaliste par ses réflexions. La ganaderia est située à Robliza de Cojos, à une trentaine de kilomètres de Salamanque. Juan Luis Fraile « hijo » dirige l’élevage familial d’origine Graciliano depuis la mort de son père à la fin des années 90.

Journaliste : On disait tout à l’heure que la temporada avait été un peu étrange, presque sans vraie deuxième partie. Comment vous l’avez vécue ?

JLF : Oui… oui, totalement. Cette année, ça a été une temporada un peu coupée, un peu bizarre. On devait avoir deux ou trois corridas de plus… enfin, toutes celles qu’on avait en principe. Mais au final, tout dépend beaucoup de Madrid, de ce que là-bas ils demandent, et de ce que les aficionados
veulent voir. Et puis… eh bien, les choses n’ont pas toujours marché comme on voulait.


Journaliste : Vous parlez souvent de la vache et des tentaderos, de son importance à la base du troupeau…

JLF : Ah oui, ça c’est fondamental. La vache, elle fait tout. C’est elle qui garde l’encaste, qui donne la bravoure, qui fait le caractère du toro. Si la vache va bien, la ganadería va bien. Si la vache ne répond pas… alors rien ne marche. Et en France, ça, ils le comprennent très bien. Ça a toujours été un des points les plus importants pour nous là-bas.

Journaliste : Vos relations avec la France sont anciennes, non ?

JLF: Oui, oui. On a toujours eu beaucoup de contacts avec les plazas françaises. La frontière est proche, et on vend presque toujours quelque chose là-bas. Et eux, ils aiment notre encaste, ils aiment un toro sérieux, bien présenté. L’aficionado français est exigeant mais très fidèle. Ça, ça fait vraiment plaisir.

Journaliste : Cette année, vous avez dû faire face à un vrai problème sanitaire…

JLF : Oui… ça, ça a été le pire. On a eu un problème sérieux, vraiment sérieux. On a perdu beaucoup de bêtes, trop. On a dû abattre, éliminer… et ça, pour un ganadero, c’est très dur. Des années de sélection, de travail, et d’un coup… paf, il faut tout arrêter. On a essayé d’éradiquer, de nettoyer, et grâce à Dieu, on commence à s’en sortir, mais ça nous a fait beaucoup de mal. Beaucoup.

Journaliste : Malgré ça, vous avez continué à ouvrir le campo, à recevoir du monde ?

JLF : Oui, oui. On a toujours eu des gens à la maison. Le campo, c’est vivant. Les aficionados viennent, voient les vaches, les toros, ils posent des questions… ça fait du bien. Même quand on avait la tête ailleurs, avec les soucis sanitaires, on recevait quand même. Ça aide à tenir debout.

Journaliste : Et le futur, comment vous l’envisagez ?

JLF : Le futur… Dieu le dira. C’est un travail très dur, très exigeant. Mais c’est notre vie. On a grandi là-dedans, on a tout appris là-dedans. Dans la famille, chacun a toujours fait ce qu’il a pu. Moi, depuis 1999 que je suis à la tête de la casa, j’ai essayé de faire les choses du mieux possible. Il y a eu des années incroyables, et d’autres horribles. Mais on reste là.

Journaliste : Parlons un peu d’économie. Le prix des toros a beaucoup varié ces dernières années…

JLF : Oui, oui. Un toro normal, aujourd’hui, ça peut être entre 4 000 et 15 000 euros, parfois un peu plus selon l’arène. Le marché des recortadores, c’est autre chose, mais ça aide aussi. Et puis les coûts, les frais, la nourriture… tout ça a augmenté. Alors vendre, c’est vital.

Journaliste : On dit souvent que la télévision est devenue indispensable pour les éleveurs.

JLF : Oui, c’est vrai. La télé change beaucoup de choses. Elle donne de la visibilité, elle rapproche le public. Quand une corrida passe à la télé, ça peut changer la temporada entière d’un torero ou d’une ganadería. Après, la vérité, c’est que rien ne remplace la plaza. La plaza, c’est là où tout se joue. Le public… ça, c’est ce qui fait vraiment exister le toro. Mais la télé aide, oui, beaucoup.

Journaliste : Et la France ? Quel rôle elle joue dans tout ça ?

JLF : La France… c’est indispensable. Quand un torero triomphe là-bas, ou quand un toro marque une feria, ils n’oublient pas. La France récompense ce qui est important. Il suffit d’une grande tarde, d’une faena mémorable, et ils vous ouvrent les portes pour des années. C’est un public très cultivé, très attentif. Et ça, pour un ganadero, c’est un trésor.

Journaliste : Vous avez des toreros qui vous ont marqué ?

JLF : Oui, beaucoup. Morante… Manzanares père… Juan Mora… Tomas… ils ont marqué une époque entière. Ils avaient une personnalité, un style, une façon de toréer qui restait dans la mémoire
des gens. Moi, si un jour je peux laisser ne serait-ce qu’un petit souvenir chez quelqu’un… ce
serait déjà énorme.

Recueilli par Journaliste

Photos Roland Costedoat