« Torero dans l’arène » Fernando Botero

Avec le départ larmoyant mais prévisible de Morante le toreo s’arrête-t-il ? Il a continué après ceux d’El Juli et d’Enrique Ponce car nul n’est irremplaçable et il faut penser le futur. Le succès de la temporada passée a reposé essentiellement sur l’opposition de style et de générations entre le torero de La Puebla et celui venu de Lima. Ce n’est ni plus ni moins que la dialectique du nouveau et de l’ancien qui s’est incarnée entre un génie de la tauromachie et un jeune ambitieux venu d’un univers lointain porteur d’un souffle nouveau.

Morante parti, son nom inscrit désormais dans l’Histoire, Roca Rey revient avec des ambitions nouvelles en entrant dans le camp Matilla véritable Deus ex Machina du toreo, grand manitou du spectacle, réputé tireur de ficelles et aussi… des marrons du feu. Il a choisit le plus doué d’entre eux Luisma Matilla qui avant cela recousait adroitement la carrière de Daniel Luque rudement amochée par son caractère malgré son incroyable talent.

C’est un peu dur de café que ce changement de pied de la part de son homme de confiance pour le torero de Gerena: Matilla part -sans complexe ni scrupule- rejoindre celui qui s’est présenté comme son ennemi personnel et qui l’a écarté de tous les cartels où il est paru (c’est-à-dire les meilleurs). Comme l’écrit un journaliste espagnol célèbre cela ressemble : « à une cornada dans dos ». A noter que Daniel a réagi avec une mesure inattendue de sa part à ce qui apparaît comme un affront si ce n’est une trahison.  

Tout cela a un sens : Matilla est-il juste là pour renforcer la figure dominante du jeune Andrés ? Consolider sa place de Numéro Un qu’avait contesté Morante ? Il est vrai que l’intrépide péruvien a eu une fin de temporada laborieuse. Il l’a écourtée pour se ressourcer sur ses terres. L’expérimenté et rusé Luisma lui sera plus précieux que la main fraternelle mais naïve de Fernando.

La nature a horreur du vide et il faut des leaders pour remplir les caisses des empresas, des stars auxquels s’identifier. L’opposition entre Luque et Roca Rey va-t-elle disparaître ou au contraire s’accroître ? Dans le deuxième cas elle pourrait être le piment de la future temporada. On ne sait rien des intentions de Daniel mais son bilan plaide en sa faveur : il a fait une temporada sensationnelle terminant comme un météore à Saragosse -il a enlevé le prix- là où, par exemple, Talavante est venu en touriste. C’est que probablement le torero de Gerena avait eu vent de ce qui se tramait et ne voulait pas montrer qu’il se rendait avant même de combattre. Il entamait ainsi de futures négociations en position de force…

On peut donc enviasger un duel à mort entre Roca et Luque : opposition de style, de caractère, d’origine sociale et géographique -l’un vient de la bourgeoisie limeña l’autre s’est extrait de la plèbe andalouse. Cela pourrait animer les tertulias. Il faut encore que les deux hommes toréent ensemble avec la rage de vaincre qu’on leur connaît. Il faut pour cela que Roca lève son véto et Matilla est capable de le convaincre. car il faut un adversaire à Roca Rey, quelqu’un qui conteste ses ambitions et qui est mieux placé aujourd’hui que Luque (à moins d’une personnalité nouvelle) ? Que chaque camp aiguise ses couteaux : il va y avoir du sang sur les murs… Et cette confrontation serait tout bénef pour le spectateur.

Pierre Vidal