
Comment rester insensible au lyrisme que dégage la Coupe du Monde foot ? Sa dramaturgie, le côté épique de son déroulement emportent tout dans leurs passages et captivent justement les foules, récupérant les plus inattendus pour leur faire partager des sensations que l’on pensait minoritaires. La participation aux phases finales du Maroc et son épopée glorieuse a balayé toutes les objections morales que l’on pouvait faire au sujet du Quatar. Oubliés les 6000 ouvriers morts sur le chantier de la Coupe Rimet, les atteintes à l’environnement et les droits de l’homme foulés aux pieds. Les Lions de l’Atlas auront donné une crédibilité formidable à celle édition de la coupe. Cela ne saurait en rien diminuer les mérites de l’équipe de France, sa sérénité, sa maîtrise et une certaine humilité assez rare dans ce sport pour qu’on la souligne. C’est vrai : notre équipe a la baraka mais il vaut mieux gagner qu’être perdant magnifique…
Le foot a donc pris la place de la corrida dans les cœurs du grand public : ce n’est pas nouveau mais c’est patent désormais. Il est loin le temps où la venue de Manolete paralysait la ville de Mexico et remplissait jusqu’au reloj la Monumental de la calle Rodin, il est loin le temps où les foules descendaient la calle Alcala pour porter en triomphe les vainqueurs de Las Ventas et les ramener à leurs hôtels en scandant Torero ! Torero ! On se limite désormais à quelques bousculades vulgaires sur le parvis des arènes, avant que le héros malmené ne s’engouffre dans le « coche de cuadrilla ».
Sans doute ne faut-il pas se lamenter, regretter, glorifier le passé, penser que nous ne faisons que gérer un héritage lointain, que nous sommes, nous les taurins, la queue d’une comète, une espèce en voie de disparition. Nous ne revivrons pas les moments glorieux de nos prédécesseurs mais nous avons le devoir de transmettre et par conséquent de regarder en avant et, pour contextualiser sur cette coupe du monde, d’essayer d’analyser le pourquoi de notre marginalisation face à cet enthousiasme quasi-unanime .
Il me semble que cela ne tient pas seulement au jeu qui reste basique et simple à comprendre par tous mais surtout à ceux qui l’incarnent : à leur générosité et à leurs exploits individuels ou collectifs. Il y a une grande capacité d’identification dans ces joueurs ; une identification qui débute dès le plus jeune âge. Le monde a besoin de héros, des individus qui mouillent le maillot, qui souffrent avant de triompher qui portent des valeurs d’authenticité. Ils nous font oublier les malheurs qui nous accablent, la grisaille du quotidien et ravaudent ce lien social déchiré. C’est extraordinaire de voir que le football qui porte tant d’excès, de superficialité, de magouilles, est bâti, dans son noyau dur, sur des hommes d’exception comme Maradona, Zidane ou Cantona.
Ce n’est pas le « beau football » qui passionne les masses c’est l’émotion : la douleur de perdre, la joie de gagner, l’inattendu, les révélations, l’exploit solitaire, le talent donc mais l’amour du maillot aussi et paradoxalement on voit dans ces moments que l’idée de Nation –tant décriée- a une portée universelle. Tout cela est-il transposable à l’identique dans le milieu taurin ? Non bien sûr, mais si nous voulons reconquérir une partie de ce qui nous était dévolu il faut modestement en tirer des leçons : ce sont les meilleurs qui doivent s’imposer, la jeunesse et la nouveauté est essentielle pour le public, peu importe l’orthodoxie, ce qui compte avant tout c’est l’émotion ressentie même si elle laisse dubitatif les gardiens du temple qui le plus souvent tiennent les clés du camion.
Pierre Vidal